Le Samedi 28 octobre 2017, 70 ans après le drame qui a endeuillé nombreuses familles de Rueil, un hommage a été rendu à Monsieur Jean Le COZ et aux victimes de l’incendie du cinéma le SELECT, en présence de Monsieur Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison, de Monsieur Olivier Barbier de la Serre, adjoint au Maire chargé des Affaires culturelles et de Monsieur Didier Ducros, président de la Société Historique.
Une plaque commémorative a été dévoilée.
En 1947, Rueil compte environ 28 000 habitants.la ville panse ses plaies d’après-guerre.
Le samedi soir, le Sélect, l’un des trois cinémas de la ville, est habituellement très fréquenté à cause de l’excellence de ses programmes et de la qualité des appareils de projection.
Située 42 rue de Marly (actuellement rue Jean Le Coz) à Rueil-Malmaison, c’est une coquette salle garnie de tentures rouges, derrière lesquelles se reflètent des lumières.
« En bas, il y avait de grandes tentures rouges. C’était beau, c’était impressionnant avec les lumières derrière », raconte madame B qui à cette époque venait au cinéma avec ses parents.
Histoire de la salle
Cette ancienne salle de bal a été exploitée par Monsieur Macé, qui obtient le 22 juin 1931 l’autorisation de la transformer en salle de spectacle.
En 1932, elle devient salle de projection, et en 1938 elle est cédée à Monsieur Mouillade.
C’est un grand cube de maçonnerie composé d’un parterre et de deux balcons superposés.
Il a la forme d’un boyau de 23m de long et 15m de haut, avec une façade de 5m sur la rue de Marly. Un seul escalier donne accès aux balcons des 1er et 2ème étages.
L’entrée de la salle se fait par le hall sur la rue de Marly. Les deux portes à vantaux sont fermées par des tentures en velours pendant les représentations.
Les couloirs de chaque côté du parterre sont étroits. L’escalier desservant les balcons a une largeur de 1,40 m.
Deux sorties étroites, l’une à gauche de l’entrée, l’autre au fond de la salle, donnent sur la rue Messire Aubin.
Le nombre total de places est de 600 : 348 au parterre, 121 au premier étage, 131 au deuxième balcon.
Le 26 octobre 1946, suite au décret du 7 février 1941 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments et locaux recevant du public, une commission communale de sécurité visite le « Select » et demande certaines modifications. Elles ne seront pas toutes effectuées.
Le film
Ce samedi soir 30 août 1947à 21h, on se presse dans la petite salle pour voir « Étoile sans lumière », un film où chante Édith Piaf.
La salle est archicomble, pleine à craquer d’une foule populaire joyeuse où dominent des jeunes gens, ainsi que des familles au complet.
Aux 2 balcons, des jeunes garçons et filles heureux de se retrouver ensemble, mènent joyeux train.
Des chaises ont été ajoutées dans les allées, déjà fort étroites. Au lieu des 600 spectateurs prévus, 800 personnes s’y entassent.
L’incendie
Vers 21h40, l’entracte est terminé, la séance vient de reprendre, les premières images défilent sur l’écran, quand soudain certains spectateurs remarquent une lueur suspecte au niveau du plafond.
Un début d’incendie !
Un court-circuit enflamme brusquement les toiles qui garnissent les murs
L’opérateur, ainsi que le veut le règlement, donne la lumière.
Le directeur monsieur Mouillade demande aux spectateurs de ne pas s’affoler et de se diriger calmement vers la sortie.
Le feu se propage rapidement, ronge les escaliers de bois et provoque l’effondrement des balcons.
La cabine de l’opérateur est en flammes.
Les tentures enflammées tombent des murs et des plafonds, les planchers de bois des balcons s’embrasent et tombent sur les fauteuils rembourrés d’étoupe.
Les flammèches incendient les vêtements des spectateurs bloqués sur les gradins.
Affolés, les spectateurs des balcons n’ont d’autre chance de salut que de sauter dans le vide. Certains se blessent, certains se tuent. D’autres, nombreux, n’osent pas ou ne peuvent plus utiliser ce moyen de fuite. Des parents jettent leurs enfants, suppliant les personnes du parterre de les sauver.
C’est la panique :
Les extincteurs ne fonctionnent pas.
La porte de secours est bloquée. Elle donne sur une cour ouvrant sur la rue Messire Aubin dont la porte est verrouillée.
Une seule issue : la porte d’entrée
Les spectateurs s’écrasent, se piétinent, périssent étouffés, asphyxiés, carbonisés.
Témoignages
Sa mère, Mireille C, était au cinéma. Elle a été brûlée aux jambes, au dos, aux bras. « Maman était au 2ème étage avec une voisine. L’incendie a démarré très vite. Il y avait beaucoup trop de monde. Elle se rappelait des tissus qui tombaient sur les gens, la panique… Elle a pris un gamin dans ses bras, a sauté. Arrivée au rez-de-chaussée les gens se battaient pour sortir. A l’extérieur, d’autres regardaient et empêchaient la sortie. Les gens étaient piétinés, brûlés… Elle est allée à l’hôpital Stell toute seule, brûlée aux mollets, au dos, au bras Gauche. Elle est restée à Stell plusieurs mois. Il a fallu des années de rééducation pour qu’elle retrouve l’usage de son bras. »
Elle avait 17 ans Rescapée de l’incendie, elle est restée 18 jours dans le coma et a été soignée pendant 2 ans. « J’étais allée au cinéma avec une bande de copains. Soudain j’ai senti une chaleur épouvantable et une odeur de fumée. Je me suis retournée et j’ai vu des flammes très hautes…J’ai enjambé les fauteuils pour aller au balcon…Je me suis pendue mais la rambarde était trop chaude et j’avais mal aux mains. J’ai lâché et je suis tombée sur des morts qui étaient en bas. Après plus rien, le néant… »
Elle avait 14 ans Rescapée de l’incendie, elle a eu des membres cassés « Je suis allée au cinéma avec la maman de Nicole L et avec Mireille C. Après l’entracte, on s’est assises en haut. Il faisait très chaud…Les flammes ça faisait de l’eau, mes copines n’ont pas été brûlées par les flammes elles l’ont été par l’eau… Finalement on a escaladé la rambarde, on s’est laissé glisser et on est tombées entre deux strapontins… Un jeune nous a accompagnées à l’hôpital Stell. Le mercurochrome, ça y allait… Ils ont gardé Nicole et Mireille. Moi je suis partie à l’hôpital de Nanterre. Je n’ai pas été brûlée, j’ai eu des membres de cassés. »
Elle avait 17 ans Était venue voir le film en famille, avec son futur mari. Sa mère a été gravement brûlée Elle-même n’a eu que les cheveux roussis « Ce soir-là on était au premier étage. Après l’entracte on venait de rentrer. A peine arrivés, le feu s’est déclaré au 1er. Tout s’est enflammé très vite. Mes parents ont réussi à sortir par l’escalier. Mon futur mari m’a soulevé. On est sortis par la rue Messire Aubin. Ma mère est restée assise dans la cour, hébétée, choquée, les bras brûlés. Les pompiers sont venus la chercher »
Elle avait 12 ans, et était en colonie de vacances. « Des gens sont venus à la colonie. Ils ont emmené une dizaine d’enfants. Le directeur nous a rassurés : « vous, vous rentrez demain, il n’y a pas assez de places dans le train». On a su ce qui s’était passé en rentrant à la maison. J’ai entendu mes parents dire que tout le monde voulait voir le film. On avait rajouté des chaises. Dans les rues de Rueil, les gens hurlaient. »
L’alarme est donnée.
La sirène hurle. La nouvelle se propage dans le calme d’une soirée d’été
Les pompiers arrivent rapidement, de Rueil et des casernes environnantes : Saint-Germain en Laye, Versailles, Argenteuil, Chaville, Paris (Champerret). Ils déploient leurs lances et s’efforcent de sauver les malheureux
Ils sont aidés par des volontaires de la Croix Rouge Française, du Secours Populaire, de l’Union des Femmes Françaises ainsi que par le Service sanitaire de Bernard Moteurs et les soldats de l’Armée de l’Air cantonnés à la caserne Guynemer.
En 19 minutes, tout avait brûlé…
Les secours s’organisent
Sept minutes se sont à peine écoulées depuis les premiers appels au secours que déjà les ambulances automobiles arrivent.
Les gens courent dans la rue, les vêtements arrachés.
Des blessés se présentent le visage ensanglanté, brûlés sur tout le corps.
Des corps meurtris s’effondrent et sont ensuite transportés sur des civières.
Des actes d’héroïsme ont lieu, dont celui de Jean Le Coz, un commerçant en vins âgé de 25 ans, né à Rueil, qui a sauté du 2ème étage et s’est relevé sans trop de mal. Il se précipite dans la salle et à trois reprises ramène des blessés. La quatrième fois il ne ressortira pas de la fournaise. Son corps sera retrouvé carbonisé avec un enfant qu’il tenait dans ses bras.
Il laisse une jeune femme et une petite fille de 3 mois.
40 blessés graves sont hospitalisés soit à l’hôpital Stell, soit à Nanterre ou Saint-Germain.
89 personnes trouvent une mort atroce, les uns brûlés, les autres étouffés, d’autres enfin assommés par les charpentes qui leur ont broyé les os.
A 23h15, tout était terminé.
Pendant que les blessés recevaient les premiers soins à l’hôpital Stell, les cadavres calcinés étaient transportés à la justice de paix ou à l’école des garçons où des chapelles ardentes avaient été dressées.
La reconnaissance des cadavres sera extrêmement difficile. 32 seront déposés dans la salle de justice de paix, 34 dans le préau couvert de l’école des garçons. Sur 121 spectateurs du 2ème balcon, 45 avaient trouvé une mort atroce.
On pourra constater que plus de la moitié des victimes a moins de vingt ans. Des familles entières ont péri ensemble.
Toute la ville est bouleversée, des groupes guettent les affiches officielles des listes des victimes.
A l’hôpital Stell,
Monsieur Hatron, le directeur improvise une organisation difficile.
Le nombre de lits disponibles est insuffisant, le personnel, encore réduit par les vacances.
Plus de 100 blessés sont recueillis et soignés la première nuit. Médecins et infirmières vont soigner sans relâche.
Des scouts de Rueil, de Chatou et de Croissy se mettent à la disposition de la direction de l’hôpital pour des tâches ingrates mais indispensables.
Il avait 13 ans Son frère ainé Jacques était au cinéma ce soir-là « Mon frère est revenu brutalement, il a dit que le cinéma brûlait, et il a pris une des voitures de la Société. J’étais scout, il fallait des bénévoles à l’hôpital, je suis allé 2 jours à Stell pour laver par terre… en fait j’y suis resté 3 semaines. L’hôpital était plein… plein… Au début on a lavé par terre Les brûlés étaient soignés à l’époque avec du mercurochrome. Ils étaient complètement rouge…rouge… Les vieilles peaux s’en allaient et moi je me rappelle avoir enlevé les vieilles peaux.
Les obsèques des victimes ont lieu le mardi suivant à 10 heures du matin.
Plus de 20 000 personnes sont assemblées place de l’Eglise, où un autel a été dressé en plein-air, devant 82 cercueils recouverts de gerbes de fleurs, dont la plupart sont blanches. Les sept autres cercueils restent encore à l’école, attendant les obsèques civiles.
La façade de l’église est tendue de noir. Les magasins sont fermés, les rues avoisinantes absolument vides.
Un service d’ordre de scouts et de gardiens de la paix forme un cordon qui sépare les familles du reste des spectateurs.
La messe est célébrée sur la place de l’Eglise par le chanoine Boltz en présence de Monseigneur Roland-Gosselin, évêque de Versailles, qui prononce une allocution.
Aussitôt après les sept cercueils déposés à l’école sont amenés sur la place de l’église, et monsieur Laparlière, maire de Rueil, salue les familles des victimes. Il annonce que monsieur Vincent Auriol, président de la République, a adressé un don personnel de 100 000 F qui s’ajoute aux premiers secours donnés par la ville de Rueil et par le ministre de l’Intérieur
De nombreuses personnalités ont tenu à apporter à la population des témoignages de sympathie.
Monsieur Ziwes, préfet de Seine et Oise, assure l’assistance que toutes les enquêtes seront menées avec rigueur pour déterminer les responsabilités et prévenir le retour de semblable catastrophe.
M. le Colonel Pouyade, représentant le Président de la République, décore Jean Le Coz de la Croix de la Légion d’Honneur à titre posthume.
Après la sonnerie « aux Morts » Les cercueils sont placés sur des camions et forment un immense et douloureux cortège. Ils seront inhumés dans l’ancien cimetière, au son d’une marche funèbre jouée par la musique des gardiens de la paix.
Un court-circuit n’explique pas la panique et la tragédie n’est pas imputable à la seule fatalité.
Aucun extincteur n’a pu être mis en batterie, aucun pompier n’était de service.
La porte de secours ne fut finalement ouverte qu’après une lutte contre les minutes. Elle donne sur une cour sans issue car le portail est verrouillé.
Les tentures étaient vieilles et, si elles avaient été ignifugées, c’était il y a plus de dix ans. Elles ont flambé et avec elles, les tapis de drap, les velours orangés des fauteuils
L’enquête
Le commissaire Saint-Marcoux fait les premières constatations. Il est désisté ensuite au profit du commissaire Juffin, de la première brigade mobile par une commission rogatoire du juge Ponseel.
Dès le lendemain du drame trois experts MM Desfontaines, Beynier, Page de Fontenelle procèdent, dans la salle sinistrée, aux investigations ordonnées par monsieur Ponseel, juge d’instruction au parquet de Versailles, qui assiste à cet examen ainsi que MM Guy, procureur de la République à Versailles et Juffin.
Ils constatent que l’installation électrique était défectueuse, les portes de sorties et les portes de secours insuffisamment larges, une porte de secours donnant sur la rue Messire Aubin ne s’ouvrait que de l’intérieur, un extincteur ne fonctionnait pas, un tuyau d’incendie est dépourvu de lance, les tentures ne sont plus ignifugées…
Ils saisissent différents objets qui vont être soumis à un examen plus minutieux avant de déposer leurs conclusions dans le bureau du magistrat instructeur.
En fin de soirée, le commissaire Juffin fait une mise au point officielle : « la principale charge qui pèse sur monsieur Mouillade repose sur le fait qu’il n’a tenu aucun compte des observations qui lui ont été faites l’année dernière par la commission d’enquête sur la sécurité des salles de spectacle. C’est pour cette raison qu’un mandat de dépôt a été signé contre lui. »
Pour sa défense, monsieur Mouillade a déclaré : « les observations m’ont été faites verbalement et jamais notifiées par écrit. »
Le directeur Antoine Mouillade est arrêté et inculpé d’homicide involontaire. Il est incarcéré à la prison Saint Pierre de Versailles le 31 août. Son procès s’ouvrira le 22 mars 1948.
Aide aux victimes
Lors de la séance extraordinaire du 31 aout 1947, le Conseil Municipal, réuni sous la présidence du maire Monsieur Laparlière vote un crédit d’un million de francs pour venir en aide aux familles des victimes et crée une commission spéciale pour en assurer la distribution.
Le gouvernement a alloué lui aussi la somme d’un million à titre de premier secours.
La commission départementale a accordé également un million de francs.
Le président Vincent Auriol a adressé un don personnel de 100 000 francs.
Dans les rues de la ville, des quêteurs font appel à la générosité de la population.
Beaucoup de dons seront reçus, de la part de particuliers, de commerçants, d’entreprises, de mairies d’autres villes, de donateurs anonymes… Ces sommes dépassent 600 000 Francs.
Lors de la séance du 20 septembre 1947 le conseil Municipal, pour perpétuer le souvenir de victimes de la catastrophe du 30 aout 1947, « décide d’attribuer une concession de terrain pour une durée de cent années et ce à titre gratuit » au terrain occupé par les tombes. « la même disposition s’appliquera aux corps déposés dans les caveaux de famille dont la durée de concession est inférieure à cent ans »
Le Conseil municipal désigne un conseil juridique destiné à donner tous renseignements utiles aux familles des victimes, et décide que la municipalité « se porte elle-même partie civile pour la défense des intérêts des sinistrés et de ceux de l’administration municipale ».
Lors de la séance du 24 octobre 1947, à la suite des élections municipales du 19 octobre, Monsieur Pourtout est élu maire par 13 voix contre 4 à monsieur Laparlière.
Le 18 novembre 1947, une nouvelle commission spéciale de secours aux sinistrés est nommée.
La rue du cinéma, la rue de Marly, est rebaptisée un an plus tard rue Jean Le Coz en son honneur.
Conseil municipal du 29 octobre 1948, sous la présidence de M. Pourtout
« le maire expose au conseil qu’il a été saisi d’une demande émanant de l’association des Bretons de Rueil-Malmaison le priant de saisir le conseil municipal en vue de donner à la rue de Marly le nom de « Jean Le Coz » leur compatriote qui trouva la mort après avoir sauvé plusieurs personnes au cours de l’incendie du 30 août 1947 et qui fut promu Chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume, pour ces actes de courage.
Le Conseil, ouï l’exposé de M. le Maire, après en avoir délibéré, DECIDE que la rue de Marly sera dénommée RUE JEAN LE COZ. »
Le 7 mai 1949, le préfet approuve la délibération du Conseil Municipal de Rueil-Malmaison et le dimanche 26 juin 1949, la rue de Marly devient la rue Jean Le Coz.
LES PROCÈS
Le procès de M. Mouillade s’ouvre le 22 mars 1948
Il est « Accusé, en tant que directeur-propriétaire d’avoir causé par imprudence, négligence, inobservation des prescriptions réglementaires, la mort de quatre-vingt-neuf personnes et des blessures graves à plus de quarante autres. »
Suit la liste de toutes les victimes.
Le président Barbier rappelle les faits, la disposition des lieux, donne les dimensions exactes de la salle, de l’escalier.
Puis il s’attache à rechercher spécialement les causes de la propagation rapide du sinistre et de l’évacuation défectueuse.
Monsieur Mouillade est défendu par M° Floriot et M° Ambiallet.
Il avait acheté un établissement en difficulté. Il affirme qu’il ignorait aussi bien les malfaçons de la salle, les injonctions faites à monsieur Macé pour sa transformation.
Il ignorait aussi le décret du 7 février 1941… au nom duquel lui sont reprochées neuf infractions :
1. Défaut de vérification périodique des installations électriques
2. Tentures non ignifugées
3. Vélum et tentures non conformes au règlement
4. Défaut de hourdis de plâtre sur les parties métalliques et, en particulier, dans l’escalier d’accès aux balcons
5. Emploi d’un opérateur trop jeune et sans diplôme
6. Utilisation de chaises de jardin dans la salle
7. Absence d’un second escalier pour l’évacuation des spectateurs
8. Moyens de défense contre l’incendie insuffisants
9. Cabine de protection dans la salle et dont la porte n’était pas munie d’un dispositif de coupage automatique
Parmi les témoins : quelques rescapés, une placeuse, un pompier, les experts commis par le juge et le ministère de l’intérieur, M. Laparlière, maire au moment du sinistre, le Dr Brillant, directeur du bureau d’hygiène, M. Neveu, maire de Rueil de 1935 à 1938, M. Lambrecht, lieutenant des pompiers, MM. Trincot et Lambert, architectes.
Monsieur Mouillade sera condamné le 19 avril à une peine d’un an d’emprisonnement et à six mille francs d’amende pour homicides et blessures involontaires, ainsi qu’au versement de trente millions de dommages et intérêts (sur les cent cinquante millions demandés) aux familles des victimes.
Ce jugement ne sera pas suivi d’effets en ce qui concerne le versement des indemnités, l’inculpé se révélant insolvable. Qui paiera ? La municipalité de Rueil ? La préfecture de Seine et Oise ? personnes morales responsables de plein droit. C’est de ce côté seulement qu’un recours est possible.
Depuis huit mois, Monsieur Mouillade est au régime cellulaire à la prison Saint-Pierre. Il bénéficie donc d’une réduction de peine du tiers de ce temps, donc il sortira de prison dans six semaines environ.
Les experts retiendront des faits à la charge du maire de Rueil et de la municipalité.
Deux autres procès devraient commencer, celui de l’administration municipale et préfectorale, et celui de monsieur Laparlière, maire de Rueil-Malmaison au moment de la catastrophe.
Cependant, le procureur de la République estime que statuer sur un défaut d’activité administrative du maire reviendrait à traduire celui-ci devant les tribunaux « pour raison de sa fonction », ce qu’interdit formellement la loi des 16-24 août 1790. Le parquet ne peut donc examiner la conduite du maire et le déférer devant une juridiction.
Le 26 avril 1948, Monsieur Laparlière comparaît devant le tribunal de Versailles, qui se déclare incompétent.
De la même façon, les experts estiment que l’administration préfectorale a manqué à certaines de ses obligations, étant chargée par le décret du 7 février 1941 relatif à la sécurité dans les établissements relevant du public, de contrôler l’action des maires et au besoin de se substituer à eux. Mais pour les mêmes raisons juridiques, le procureur explique dans son réquisitoire que l’autorité judiciaire n’a pas à se prononcer sur cette responsabilité.
Ni le maire ni le préfet ne seront inquiétés
Plusieurs personnes, parents de personnes décédées, ne se satisfont pas de ce résultat. Un comité de défense des sinistrés du Select se crée et intente une action en justice contre la ville de Rueil. Il faudra attendre le 24 janvier 1951 pour qu’une juridiction administrative, le conseil de préfecture de Versailles, statue sur la responsabilité de la puissance publique dans cette affaire. L’arrêt du tribunal indique que la commune de Rueil-Malmaison doit être considérée comme responsable « pour la totalité des conséquences dommageables de l’incendie » dont un certain nombre de plaignants ont été victimes.
En revanche, le conseil de préfecture estime, comme précédemment le tribunal de Versailles, qu’il ne lui appartient pas d’apprécier la responsabilité de l’autorité de tutelle dans cette affaire, et qu’il revient seulement à la commune d’intenter, si elle le souhaite, une action récursoire contre l’État.
Après l’échec d’une tentative d’accord amiable avec le ministère de l’Intérieur, dont le but consistait à obtenir le partage des frais d’indemnisation des sinistrés, la commune de Rueil dépose un recours devant le conseil d’Etat.
L’arbitrage final Lors de sa séance du 17 juin 1953, le conseil d’État rejette la requête de la ville, considérant que la collectivité « n’est pas fondée à demander à l’État de la couvrir du montant des indemnités qu’elle est condamnée à verser ». La ville de Rueil décide alors d’opposer la déchéance quadriennale aux demandes d’indemnités encore en instance devant le conseil de préfecture. Les indemnités non encore versées ne le seront jamais.
Au plan judiciaire, l’affaire du cinéma de Rueil se solde par un ensemble de décisions du conseil d’État lors de sa séance du 10 juillet 1957, suite aux requêtes déposées par la ville dans le but d’obtenir l’annulation des décisions du conseil de préfecture la condamnant à verser des indemnités de dommages et intérêts aux familles des sinistrés.
Le conseil d’État prend acte de la condamnation du propriétaire du cinéma, mais il estime que les circonstances laissent également apparaître, de la part de la commune de Rueil, «un ensemble de négligences, de fautes, d’inobservations des règlements et d’imprudences qui engagent lourdement sa responsabilité». En particulier, la commission communale de sécurité n’a procédé à aucune vérification et n’a tenu aucune réunion entre le 26 octobre 1946 et le 30 août 1947, bien qu’elle fût spécialement chargée, aux termes du décret du 7 février 1941, de visiter au moins deux fois par an les établissements et les locaux soumis à ce règlement.
La haute juridiction dresse le bilan judiciaire et financier définitif de la catastrophe : quatre-vingt- neuf morts, soixante-quatre blessés, quatre orphelins ; 7.254.522 francs de secours financiers mobilisés, dont 6.892.025 francs ont été distribués, hors frais divers, entre 1947 et 1950.
(persee.fr)
Monique Cluzel (Bulletin SHRM n° 42)
Remerciements aux personnes qui nous ont apporté de précieux témoignages : mesdames Baudry, Gniewek, Julien, Liczo, Harduineau, messieurs Dubacq, Toucheboeuf
Et particulièrement à madame Bizot, fille de Jean Le Coz, qui m’a autorisée à consulter sa documentation personnelle, ainsi que les portraits de ses parents.
Sources
– Archives municipales : compte rendu des conseils municipaux des 31/8, 20/9, 24/10, 18/11/1947.
– compte rendu de la commission d’assistance du 11 juin 1949
– Ministère de l’Intérieur : décret du 7 février 1941 concernant la protection contre l’incendie des bâtiments ou locaux recevant du public.
– Journal officiel du 25 janvier 1947 concernant la liste des organismes agréé pour la vérification des installations électriques
– Journaux : des 2 au 5/9/1947, Ce soir, France Soir, La renaissance de Seine et Oise, etc…
– Document : Vilain Jean-Paul, Lemieux Cyril. La mobilisation des victimes d’accidents collectifs. Vers la notion de «groupe circonstanciel» in (persee.fr)