Pendant bien longtemps, il y eut une épicerie à l’angle de la place de l’Eglise et de la rue du Château au rez-de-chaussée de l’immeuble. En 1873, elle porte l’enseigne d’Épicerie parisienne gérée par Mr Rocher aidé de deux commis. Le 25 juillet 1873 à 21h45, le commis Legrand voulut tirer dans la cave un litre d’essence minérale d’un réservoir de 50 litres. Ayant des difficultés à ouvrir le robinet, il appela son patron qui débloquant la clef, fit jaillir un jet de liquide sur la bougie tenue par Legrand. Immédiatement enveloppé par les flammes, fou de terreur, il se rue à l’extérieur et tombe dans la rue horriblement brûlé. On eut dit, d’après un témoin, qu’il avait une cuirasse rouge sur la poitrine. Il est transporté à la pharmacie Fialon de l’autre côté de la place et reçoit les soins du Dr Launay, mais son état est jugé désespéré. Il est transporté sur un brancard à l’asile des vieillards puis à l’hospice de Saint Germain.
Rapidement le feu est maîtrisé par les pompiers et les militaires de la caserne venus prêter main forte. Une foule nombreuse, attirée par le passage des pompiers, assiste à l’événement. On sauve les marchandises restantes en les mettant à l’abri des grilles qui à cette époque entouraient l’église.
Le feu maîtrisé, on voulut s’assurer qu’aucune marchandise inflammable ne restait dans la cave, malgré l’opposition du commissaire de police jugeant cela dangereux. Mr Lienard, maire adjoint, Mr Bataille, sergent-major des pompiers, plusieurs pompiers, descendent alors et allument une bougie, enflammant les vapeurs d’essence provoquant une énorme explosion mettant le feu à un tonneau d’eau de vie, à des boites d’allumettes, faisant voler en éclat la devanture, les carreaux et les volets du magasin, brûlant et blessant grièvement pompiers et spectateurs.
On compte plus de 40 victimes : 1 militaire, 13 civils, 26 pompiers, 1gendarme, 1 femme. Une dizaine sont très grièvement atteintes. Mr Lienard a toute la figure et la poitrine brûlée, « tout l’épiderme était enlevé, on eut dit qu’on l’avait scalpé » écrit le journaliste du Figaro. Mr Rocher a toute la partie antérieure du corps brûlé, la figure, la tête, les mains boursouflées. Parmi les pompiers beaucoup sont très grièvement atteints : le capitaine Edeline, les lieutenants Gravel et Marc, Bataille sergent-major, Buisson caporal, Vezien clairon, Gabriel et François Hubert, Saunier, Filliette, Fauconnier, Seguin, etc… Tous ces hommes, volontaires, ouvriers pour la plupart et pères de famille. Même le lieutenant-colonel Dehaye Durand commandant de la caserne a eu la main droite profondément entaillée par des éclats de verre.
Les docteurs Chairon, Launay et Remy médecin major du 104e de ligne en garnison à Rueil, pansent les blessés jusqu’à 11h et demi du soir. Mr Hervet, maire, Crevel adjoint, les 2 abbés de la paroisse, les pharmaciens, se démènent sans compter pour apporter soins et encouragements. Les brigades de gendarmerie de Chatou et Bougival offrent leurs services.
Aussitôt prévenu, le Préfet Mr Chambon, se rend sur les lieux dès 4h du matin. Accompagné du maire, il rend visite aux blessés, s’informe des besoins d’assistance. Les médecins reconnaissent qu’ils ne pourront suffire à assurer les pansements et réclament d’urgence l’aide de 3 sœurs de charité, les brûlures exigeant des soins très minutieux et constants.
Dès le lendemain le conseil municipal se réunit en séance extraordinaire afin d’établir 3 commissions destinées à venir au secours des malheureux blessés. La première commission sera composée de cultivateurs, membres du conseil, afin d’apprécier dans le plus bref délai les secours dont les cultivateurs blessés peuvent avoir besoin afin que les travaux de la moisson, en pleine activité, et ceux de la culture ne soient point interrompus ; les militaires de la caserne sont prêts à venir les aider. La deuxième commission sera chargée de reconnaître les besoins de chaque famille au point de vue pécuniaire ; ils devront s’informer auprès de l’administration et des médecins. Leur mission est délicate car ils seront « les consolateurs de nos pauvres affligés et leur mission sera longue. » Et une troisième commission composée de 4 membres du conseil et de 4 personnes de la ville se chargera d’une quête à domicile en faveur des victimes.
A la suite d’une demande au Préfet de police, 3 sœurs hospitalières de Notre Dame du Bon Secours de Troyes sont arrivées. La Sœur Élisabeth supérieure générale des religieuses de la Sainte Enfance de Versailles dont des religieuses tiennent à Rueil une école et l’asile, leur offre l’hospitalité dans l’infirmerie de l’école.
Le maire lit une lettre reçue du préfet le matin-même : « Mon cher Maire, le récit de la catastrophe de Rueil et des actes de dévouements accomplis par les victimes, touche profondément le gouvernement et Président de la République. Je vous ai annoncé mille francs que donne le ministre de l’Intérieur sur les fonds de l’État. Madame la maréchale de Mac-Mahon me prie de vous remettre 500F sur sa cassette personnelle. Votre préfet est heureux de vous offrir 100F. Je vais ouvrir une souscription dans les journaux du département, c’est vous dire, mon cher maire, combien j’ai été frappé par l’énergie de vos courageuses victimes, dites-le leur et donnez-leur l’assurance de mon affectueux et très sympathique attachement. Tout à vous. Chambon. »
Le conseil municipal vote 1.000F pour les premiers besoins des blessés plus 2.000F pour solder les frais d’enterrements à venir ! Déjà Charles Louis Besche apporte 104F, 80 – produit d’une quête faite au mariage de sa fille et une souscription ouverte de suite parmi les 16 conseillers municipaux rapporte 1.135F. Le Maire remercie au nom de tous, la troupe et les officiers du 104e régiment d’infanterie et des pontonniers en garnison à la caserne « venus à notre secours avec leur zèle et leur dévouement ordinaire. » Dès le 28 juillet le général Appert met à la disposition de la ville douze hommes pour aider à la moisson.
L’état des blessés s’aggrave, ils passent des nuits atroces, tant en raison de la chaleur qui règne à ce moment, que de cauchemars affreux qu’ils font. « Dès qu’ils ferment les yeux pour s’endormir, écrit le Dr Chairon, ils se croient encore dans la fournaise ardente, font des efforts surhumains pour s’échapper et cognent leurs membres de tous côtés. »
Deux puis quatre frères de St Jean de Dieu viennent aider les religieuses, les victimes ayant besoin de soins constants afin de renouveler les pansements jour et nuit.
Hervet se plaint de ne pouvoir « faire face qu’imparfaitement à toutes les exigences de la situation » malgré son activité incessante. Il adresse un appel « au cœur charitable de ses citoyens » afin qu’ils déposent à la mairie du linge pour les pansements des blessés.
Le Dr Chairon expérimente un baume, la vulnerine et trouve que ce remède présente de nombreux avantages : facilité des pansements, suppression complète de l’odeur infecte, diminution de la lymphangite, meilleure apparence des plaies.
Les frères et sœurs montrent un dévouement au-dessus de tout éloge assurent les médecins qui leur donnent les notions nécessaires pour compléter leur bonne volonté.
On emploie beaucoup la vulnérine, pommade avec de la glycérine et une lotion avec de la teinture d’arnica. Les pansements sont ainsi moins longs et l’odeur moins désagréable malgré une suppuration abondante. Sur les mains brûlées, des attelles sont posées afin d’isoler les doigts et les tenir étendus.
Malgré tous les soins prodigués, l’état des plus atteints s’aggrave. Dès le 27 juillet meurent Gravel, blanchisseur sous-lieutenant des pompiers qui a été brûlé sur tout le corps et Faulconnier, serrurier sergent fourrier dont, a écrit le journaliste venu lui rendre visite, la tête tuméfiée a la grosseur d’une courge et les mains sont brûlées jusqu’à l’os. Le 28 juillet décèdent J. Joseph Marc, maître-maçon lieutenant et l’épicier Mr Rocher, homme très estimé à Rueil et qui le matin même avait eu la douleur de perdre un bébé de 13 jours.
Le 31 Louis François Hubert, cultivateur sapeur, meurt à son tour. Puis les deux commis transportés à l’hospice de St Germain, l’un le 8 août et l’autre le 26 août.
Le 6 août est décédé Mr Lienard, 1er adjoint au maire. Il avait 58ans, était père de deux filles. Il est enterré le lendemain en présence du Préfet, des maires des environs, de toutes les autorités civiles et militaires et d’une foule nombreuse.
A la réunion du conseil municipal du 11 août, Mr Hervet rappelle la perte si regrettable que vient de subir la ville. Mr Lienard était conseiller municipal depuis 1865 et adjoint depuis deux ans. « Il a consacré, surtout depuis cette époque, son temps à la ville. Les services précieux qu’il a rendus sont nombreux. L’administration perd en lui un homme dévoué aux intérêts de la ville. Dans ses relations avec ses collègues, il s’était concilié l’estime et la sympathie de tous ».
A chaque inhumation, l’église est décorée par Mr Geoffroy, tapissier, de trophées, de drapeaux. Il refuse d’être payé « trop heureux de s’associer à tout le bien fait par la ville pour soulager les infortunés atteints par ce malheur ». De même le clergé et la fabrique renoncent à leurs honoraires.
De toute la France arrivent des propositions de remèdes aux brûlures dont certains semblent assez fantaisistes : Mr Roboeuf qui a soigné des brûlés dans les sucreries de Mr Lebaudy, propose des flacons de phénol, Mr Maury de Carcassonne a un remède très efficace, il envoie deux bouteilles de son eau qu’on peut mélanger à de l’eau ordinaire et dit-il « il ne faudrait pas être étonné si lorsqu’on applique une compresse, il s’échappe une très grande vapeur de la plaie, c’est l’inflammation qui disparaît, le malade doit déjà se trouver soulagé. » Mr Plouard, avocat, soigne la gangrène avec de l’eau de décoction d’artichauts. Un pharmacien de Paris propose un flacon d’huile Joseph « tonique qui a déjà rendu de très grands services. » Une dame d’Italie, mais parisienne, possède une « eau merveilleuse » qui a fait de véritables miracles pour la guérison des brûlures, le secret lui en a été donné par un médecin suédois qui est mort chez elle. Un arquebusier de Joigny donne une recette infaillible : faire un mortier avec de la chaux, faire sécher, réduire en poudre, mélanger à de l’huile, étendre sur la brûlure. Remèdes également d’un chimiste de Paris, d’un dentiste. Les conseils ne manquent pas.
Dès le lendemain de cette catastrophe, Mr Eugène Tarbé des Sablons, directeur du chemin de fer de Rueil à Marly écrit à son frère Edmond, rédacteur en chef au journal « Le Gaulois » un des grands quotidiens de l’époque, pour lui faire part de ce qui vient de se passer à Rueil, des morts et de nombreux blessés atrocement brûlés qui risquent d’être de longs mois dans l’incapacité de travailler. Il lui demande d’ouvrir dans son journal une souscription pour aider toutes ces familles si durement éprouvées. « Je ne doute pas, lui écrit-il, que non seulement les habitants riches de Rueil, mais tous ceux des communes environnantes n’apportent leur offrande et leur secours à ton premier appel. Nous trouverons aussi, j’en suis sûr, des mains ouvertes et des cœurs généreux parmi ceux qui, sans demeurer dans notre pays, font de ce ravissant coin de terre, le but de leur villégiature dominicale. » Il s’inscrit lui-même pour une somme de 100F.
Son frère accepte aussitôt cette suggestion et les noms des souscripteurs, aussi bien ceux du journal que ceux qui souscriront à la mairie de Rueil ou aux bureaux du chemin de fer américain, seront publiés dans le Gaulois.
Cette catastrophe suscita alors un immense élan de solidarité. Les dons affluèrent de toute la France. Des quêtes sont faites, des spectacles organisés au profit des familles éprouvées. Toutes les communes des environs, les compagnies de sapeurs-pompiers et un nombre impressionnant de personnes connues ou non répondirent à cet appel.
Une « généreuse bienfaitrice » qui veut rester anonyme, offre 10.000F ! Mais on trouve quantité de personnalités faisant des dons de 100F et plus, tels : Odilon Barrot, les barons de Rothschild, Jules Beer député, le préfet de police, Dufaure ancien garde des sceaux ayant une propriété à Rueil, les Viardot et Ivan Tourgueniev de Bougival. Bien sûr les Edouard Rodrigues de Bois-Préau, d’Eichtal de Vert-Mont, Tourgueneff de Vert-Bois, les Cramail et Hervet très généreux, l’évêque de Versailles etc…
Beaucoup de dons sont accompagnés de lettres touchantes : Jules Favre, ayant sa maison de campagne à Rueil : « j’apprends avec un profond chagrin le terrible accident qui a jeté le deuil dans la population de Rueil. Je ne veux pas tarder à offrir mon obole pour contribuer au soulagement des infortunés qui se trouvent frappés. »
Dès le 9 août, la reine Marie-Christine d’Espagne, en exil en France, qui avait habité Malmaison pendant 20ans, apporte aussi sa participation. « La Reine a été vivement désolée en apprenant l’horrible désastre qui vient de frapper Rueil. » Elle offre 300F « en même temps que l’expression de douloureuse sympathie de sa Majesté envers Rueil dont le cœur de la Reine gardera toujours un souvenir si agréable. »
Le 106e régiment d’infanterie à Toul mais auparavant à Rueil, envoie son obole ayant conservé un si bon souvenir de « l’excellente population de Rueil. »
Une souscription a été faite aussi par les habitants du quartier de La Madeleine à Paris qui sont « toujours pénétrés de la plus vive reconnaissance envers les pompiers de Rueil qui par leur courage et leur dévouement dans les journées néfastes de la Commune ont préservé ce quartier de l’incendie et d’une destruction complète. » Ils offrent 2.493F.
Adrien Cramail qui a été maire de Rueil pendant tout le second Empire, maintenant conseiller général, plaide la situation dramatique de la ville auprès du Conseil Général. Celui-ci « considérant que la catastrophe arrivée le 25 juillet 1873 à Rueil a ému à juste titre le département tout entier, que les sapeurs-pompiers rendent des services gratuits au pays, qu’il importe d’encourager cette institution, que la commune de Rueil a des charges importantes à supporter et que le département peut l’aider à supporter » accorde un crédit de 6.000F. Le conseil municipal remercie chaleureusement Adrien Cramail qui « continue à la ville le dévouement qu’il lui avait consacré comme maire » ainsi que tous les membres du conseil général. Le Préfet redit toute sa compassion dans une lettre chaleureuse à Mr Hervet : « le malheur de Rueil en m’appelant plusieurs fois dans votre commune, m’a permis d’apprécier chaque jour davantage l’intelligence et le dévouement que vous apportiez dans votre tâche si pénible en ces moments douloureux et le concours si utile que vous trouviez chez vos collègues du conseil municipal. Permettez-moi de vous en exprimer toute ma reconnaissance au nom de l’administration. »
Un poète d’Argenteuil, Jules Boëns, écrit et fait imprimer en 1873 un long récit en vers intitulé : « la catastrophe de Rueil » qu’il vend pour 30c au profit des victimes. Il termine par ces mots :
« Que de veuves, hélas ! Et combien d’orphelins « Dont il faut adoucir les pénibles chagrins « Ce doit être pour nous une tâche commune « De soulager au moins cette immense infortune « Et si le mal est grand, grand est notre devoir. « On peut beaucoup de bien quand on sait le vouloir « Adoptons pour devoir et mettons en pratique « Ces deux mots : Aidons-nous ! Dans un cas si tragique « Les maux ne sont jamais par les dons dépassés « Il faut donner beaucoup pour que ce soit assez » |
Des spectacles sont également donnés au profit des victimes. Mme de Beaulieu, fille d’Édouard Rodrigues, propriétaire de Bois-Préau, propose une représentation avec Emma Fleury artiste de la Comédie française, ami de la famille et épouse du sculpteur Franceschi. Mr Hervet remercie chaudement mais décline l’offre : « la consternation est tellement grande dans la population que je ne puis accepter pour le moment l’offre si généreuse qui nous est faite par Mme Franceschi d’une représentation au bénéfice de nos blessés. Actuellement Rueil n’offrirait qu’un public infiniment restreint et cela serait à la fois peu obligeant pour Mme Emma Fleury, pour ses camarades et peu favorable pour les victimes auxquelles on veut bien s’intéresser. »
Un spectacle présenté à Asnières rapporte 1.405F. Un concert donné à Garches à l’occasion de la fête patronale donne 100F. Un bal organisé par les jeunes gens de Bougival, 400F.
Le 17 août 1873, Mr Strauss organise à Croissy une grande fête sous le patronage effectif de Mr Labelonye, député de Seine-et-Oise, « au profit des victimes de la catastrophe de Rueil. » 2.476 billets d’entrée à 2F sont vendus dans tous les environs. Les musiques de la garde républicaine et du 91e de ligne de St Germain donnent un concert. Il y a : bal d’enfants, quadrilles, orphéons. Les chaises sont fournies par l’asile du Vésinet. Le général commandant en chef l’artillerie de l’armée à Versailles a autorisé, pour la journée, la construction d’un pont de bateaux par les pontonniers casernés à Rueil, établissant une communication directe entre Rueil et Croissy. Cette fête rapportera 9.004F,25c.
La souscription lancée par les journaux et la générosité de tous, atteint la somme très importante de 116.427F,48c. Cela permet d’accorder rapidement des secours en nature ou en argent aux blessés pour incapacité de travail, à leurs familles, aux veuves, à l’achat de médicaments, à la rétribution des gardes malades etc…
Une commission de 18 personnes est constituée. En font partie Mr Labelonye député, l’abbé Baron curé de Rueil, Picon juge de paix, A. Cramail conseiller général, Beaugrand maire de Marly, Léon Estor du journal Le Gaulois, Bertrand du journal l’Union Libérale de Seine-et-oise, Angar de la compagnie d’assurances et des membres du conseil municipal. Elle est chargée de faire un projet de répartition, de connaître l’état physique des blessés auprès des médecins, leur situation pécuniaire et celles des veuves et orphelins.
Les 25 blessés sont vus par Mr Richet chirurgien des hôpitaux, professeur à la faculté et membre de l’académie de médecine, accompagné des 2 médecins de Rueil, les docteurs Launay et Chairon. On établit cinq catégories de blessés suivant la gravité de leurs lésions, allant des moins atteints n’ayant que des blessures légères rapidement guéries à ceux qui ont eu de 1 à 6 mois de convalescence et auront droit à une rente annuelle ainsi que les 6 veuves et la mère du jeune commis décédé.
Le reliquat de la souscription ou les dons plus tardifs serviront à la création d’une caisse de retraite ou de secours pour les pompiers de Rueil. Des rapports sont adressés au conseil municipal qui constate les remarquables résultats de la souscription « dus à l’élan généreux avec lequel le public a, de toutes les parties de la France, répondu à l’appel fait à la charité par le journal Le Gaulois dont le directeur Mr Edmond Tarbé des Sablons, sur l’initiative de son frère Eugène Tarbé des Sablons, a mis la vaste publicité au service de cette bonne œuvre et aussi au zèle si éclairé avec lequel M.M. Les membres de la commission de répartition ont réglé l’emploi des fonds de la souscription. »
Le 3 décembre 1873, le maire rappelle au conseil municipal le dévouement des docteurs Chairon et Launay qui sont venus donner spontanément leurs soins aux blessés « qui les ont suivis dans toutes les phases de leurs souffrances avec un empressement dont la population de Rueil gardera longtemps le souvenir. » Ils ont sacrifié leur clientèle pendant plus de six semaines « pour ne songer qu’à adoucir les douleurs et à guérir les plaies de nos concitoyens. » La ville pour leur rendre hommage et les remercier, leur offre une trousse de chirurgien semblable à celle qui accompagne les grands prix de l’école de médecine sur laquelle seraient gravés ces mots « catastrophe du 25 juillet 1873 la ville de Rueil reconnaissante. »
Les deux médecins sont extrêmement touchés de recevoir ce cadeau et remercient chaleureusement le conseil municipal : « J’ai été profondément touché, écrit le Dr Launay, de ce témoignage d’estime et je n’oublierai jamais de quelle façon délicate ils ont su récompenser les quelques services qu’il m’a été donné de rendre aux habitants de Rueil si cruellement éprouvés. » Le Dr Chairon de son côté écrit : « … En cette circonstance comme toujours, je me suis efforcé d’accomplir mon devoir et je suis confus de me voir décerner une aussi haute marque de gratitude. J’en garderai toujours un bon souvenir. »
Les religieuses venues soigner les blessés sont également remerciées de leur dévouement, même, si disent-elles, elle n’ont fait « que seconder le zèle des honorables magistrats qui les ont appelées. »
L’année suivante Mr Hervet demande au Préfet une récompense pour le gendarme Pécheux. Il était de garde devant l’épicerie après l’incendie empêchant la foule d’approcher, évitant ainsi encore plus de blessés au moment de l’explosion. Il fut assez grièvement blessé et a dû garder le lit pendant un mois. Il n’a pu recevoir d’indemnités, les règlements militaires s’y opposant. Le maire aurait voulu qu’on lui accorde la médaille militaire, mais il lui a été fait remarquer que sa prétention était trop élevée. Il demande donc pour le gendarme au moins une médaille d’argent de 1ère classe.
En juin 1874, Mr Hervet demande également au Préfet d’accorder une récompense aux pompiers de Rueil. Ils ne sont pas découragés mais ébranlés par les sollicitations de leur femme et de leurs enfants qui craignent de les voir s’exposer à nouveau. Il faut « relever leur moral et les remercier de leur dévouement et de leur abnégation en leur accordant une récompense. » Ne pouvant donner une récompense individuellement sans faire de mécontentement, il pense préférable de décerner une médaille d’argent au drapeau de la compagnie. On peut, de plus, rappeler qu’en mai 1871 au moment de la Commune, ils n’ont pas hésité à aller combattre les incendies à Paris pendant six jours.
Mr Limbourg, le Préfet, viendra lui-même remettre cette médaille le 25 juillet 1874.
Le 28 mai 1874, le maire soumet au conseil municipal les plans d’un petit monument en forme de pyramide où seront gravés une inscription et les noms des victimes de la catastrophe. « Le projet est jugé modeste sans doute mais convenable et décent et répondant au sentiment qui en a suggéré la pensée. » La dépense s’élèvera à 540F,71. Le projet est adopté à l’unanimité.
Le Dr Chairon établit un mémoire lu devant l’académie de médecine sur les observations qu’il a faites sur les brûlures de pétrole. « L’épiderme était enlevé et pendait en lambeaux. On a retrouvé dans un seau rempli d’eau, l’épiderme entier d’une main sous forme d’un sac analogue à un gant. » Il décrit l’anxiété des blessés, la douleur, la soif inextinguible, le délire, les vomissements accompagnés de spasmes violents, puis le coma.
Pendant de nombreuses années, il y eut une cérémonie anniversaire de cette catastrophe avec messe à l’église, dépôt de gerbes au cimetière. Il reste aujourd’hui au cimetière ancien, ce modeste monument qui rappelle le souvenir de cette catastrophe qui a tant marqué à l’époque les ruellois et même la France entière.
74ans plus tard, le 30 août 1947 un autre incendie autrement plus grave, faisant une centaine de morts, au cinéma Le Select rue de Marly (rue Jean le Coz) sèmera l’horreur et la douleur à Rueil rendant à nouveau la ville tristement célèbre dans tout le pays.
Dominique Helot-Lécroart (Bulletin SHRM 41)
Références :
– Archives municipales de Rueil-Malmaison I 3/1. I 3/2. D 1/3 B Registres des délibérations du Conseil municipal, copies de lettres.
– Archives Départementales des hauts de Seine 20/ RUE 25 3E/RUE
– « Le Gaulois » 28.30 juillet 1873
– « Le Figaro » 28 juillet 1873